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Galdi

Vincenzo Galdi, le troisième homme de l’école de Gloeden, celui de l’ombre...


Pendant très longtemps, son œuvre a été occulté par celle de ses prestigieux maîtres. Durant tout le XXe siècle, des photos réalisées par lui ont été reproduites en tant qu’œuvres de Wilhelm von Gloeden, ou de Wilhelm von Plüschow. On ne savait rien de lui, alors on imaginait. N’était-il pas qu’un pseudonyme, derrière lequel se serait caché Plüschow ? Ou bien, sans doute, un jeune gigolo de Taormina, qui, après avoir posé pour les aristocrates allemands, se serait mis à les imiter, avec une certaine rudesse ?

Bien sûr, par-delà les stéréotypes, l’histoire était un peu plus compliquée et plus riche. Dans les années 2000, des passionnés, de différents pays, ont cherché à distinguer les photographies des trois auteurs, d’après leurs caractéristiques, leurs numéros d’inventaire, etc. On a vu progressivement émerger un corpus, une œuvre. Il s’est avéré que Galdi a réalisé et commercialisé, durant sa courte carrière, autour de 6 000 clichés. Ses épreuves sont rares, ayant très souvent été détruites lors des tris après décès, et seule une fraction de ces images est aujourd’hui connue.

Puis en 2012, les descendants du photographe (il avait donc une famille !) se sont décidés à faire la lumière sur ce sulfureux ancêtre, qui faisait de plus en plus de bruit. Parut un petit livre par Tommaso Dore, justement intitulé « Galdi rivelato ». Il s’avéra que, né à Naples en 1871, Galdi était en fait issu d’une famille favorisée, et qu’il avait fait les Beaux-arts. Lorsque la photographie érotique est devenue impossible à Rome, vers 1907, il y a ouvert une des toutes premières galeries d’art, qu’il tiendra jusqu’en… 1951. On apprend qu’il fut franc-maçon, qu’il est allé admirer l’art de Rodin à Paris… Marié en 1902, à une institutrice, il a eu trois enfants. Il est décédé à l’âge respectable de 90 ans, en 1961, et sa mémoire fut honorée par d’élogieux articles nécrologiques dans la presse.

Voilà que l’affaire devenait un peu plus mystérieuse… Le jeune amant d’artistes aristocrates, l’audacieux pornographe, avait en fait eu une vie de petit notable ? Et comment articuler cette nouvelle stature et les saisissantes images qu’il nous a laissées ? Car cette œuvre est bien singulière, voire dérangeante.

On connaît le contexte : fuyant les rigueurs germaniques, Plüschow puis Gloeden s’installent à la fin des années 1880 en Italie du sud. Là ils développent librement une vaste œuvre inédite de photographie de nu, et de nu masculin. Une photographie que l’on pourrait dire naturiste, aussi, car elle est réalisée en plein air, et montre des corps non apprêtés, dans une sorte de symbiose avec la nature. Le jeune Vincenzo, au physique agréable, devient l’un de leurs nombreux modèles réguliers. Comme d’autres, on le voit grandir et mûrir au fil des clichés. Il apparaît entre autres dans la toute première photo de l’Histoire montrant deux hommes s’embrassant. Eduqué et motivé, il devint l’assistant de Plüschow. Il quitte Naples pour Rome au début des années 1890 et y ouvre son studio de photographie, suivi vers 1895 par Plüschow, qui fait de même. Les deux ateliers étaient situés à quelques pas l’un de l’autre, et les deux photographes continuèrent à collaborer.

Plus encore que ses maîtres, Galdi photographie indifféremment des garçons ou des filles. Et, on le sait, ses images sont à la fois beaucoup plus crues et beaucoup plus modernes que les leurs. Rapidement, il néglige le prétexte antiquisant et privilégie les vues sans décor naturel grandiose. Les photos sont bien réalisées en plein air, mais au cœur de Rome, sur la terrasse du studio-appartement familial. Il les agrémente d’accessoires plus ou moins artistiques et kitsch, que l’on reconnaît au fil des clichés : plantes, tissu brodé, fond noir, statuettes de Pompéi rééditées par Gorgio Sommer (dont Galdi fut un assistant), etc. L’une de ses caractéristiques est de souvent faire prendre à ses modèles des poses élaborées. On sent que le jeune photographe est imprégné par l’art antique, mais aussi le Baroque, et surtout Michel-Ange et le Maniérisme.



Voici donc ces modèles classiques prendre chair, et quelle chair…! Des ventres, des seins, des sexes, des jambes, qui s’offrent bruts, mêlés, crûment et sans pudeur aucune, au regard du spectateur. Et quand un vêtement vient occulter une partie du corps, ce n’est qu’un artifice pour mieux souligner une autre partie, des plus intimes. S’agit-il pour autant d’érotisme ? Pas exactement, sans doute. D’abord parce que tous ces modèles ont une présence, une humanité. Souvent ils sourient et nous fixent. Ils ne sont pas que des objets de concupiscence. Ils s’offrent, mais au regard. Plus qu’une pornographie, c’est sans doute un voyeurisme de la chair.

Ces photos n’étaient pas secrètes. Réservées à une clientèle d’initiés audacieux, bien sûr, mais commercialisées, et portant le plus souvent au verso le cachet du photographe, avec son nom et son adresse. C’est ce qui est particulièrement singulier dans le moment Gloeden-Plüschow-Galdi, et peut-être unique dans l’histoire de la photographie jusqu’à l’après Seconde guerre mondiale. Tandis que défilaient les élégantes à ombrelle et crinoline, via Campania, juste en face de la villa Borghese, Galdi réalisait et vendait des clichés de femmes exhibant librement, presque férocement, l’origine du monde… Cela dura près de 20 ans. Mais après 1900, après les affaires Wilde, Krupp, etc., le climat se durcit. Plüschow fut arrêté et condamné en 1907, Galdi l’année suivante, ce qui mit un terme à leur activité photographique. Ou, au moins, à leur activité publique.

Galdi avait bien cependant, et contrairement à Gloeden et Plüschow, une production pornographique, elle aussi commercialisée, mais anonymement et sous le manteau. Dans les rares épreuves qui sont parvenues jusqu’à nous, on reconnaît les modèles, les mêmes que ceux des clichés officiels, et les décors ou accessoires. Les scènes sont indifféremment hétéro- ou homosexuelles. L’un des modèles les plus présents dans ces photos est un bel homme moustachu, qui apparaît ici dans trois clichés. Très souvent photographié par Plüschow à l’adolescence, il était devenu l’un des sujets les plus réguliers de Galdi, à l’indifférente impudicité. Autre personnage récurrent, le jeune homme dit « le serpent », à cause de son phallus aux proportions suggestives. Car si Galdi aime à montrer le sexe féminin, il apprécie tout autant exhiber celui des hommes : il est probablement le tout premier à avoir osé photographier le sexe masculin en érection.




Le plus grand collectionneur de Galdi semble avoir été le célèbre acteur, et immense érotomane, Michel Simon : parmi les 10 ou 20 000 photos érotiques qu’il détenait se trouvaient plusieurs centaines d'images par Galdi, dont une partie a figuré dans la vente de 1977. C’est de cette extraordinaire collection que proviennent la plupart des épreuves présentées ici.

Mais dans ce pandémonium de chairs baroques surgit parfois un simple portrait, comme celui présenté ici, n° . Portraits sensibles, naturels, sobres et empathiques, incroyablement modernes. Décidément, ce pornographe échappe à nos classifications toutes faites : aurait-il été, à sa manière, un adepte de la photographie humaniste, avant la lettre ?



Comme la plupart des portraitistes du XIXe siècle, lors d’une même séance, Galdi réalisait des séries de clichés. L’ensemble conséquent que présente ce catalogue offre le privilège de voir plusieurs étapes d’une même séance, par exemple la même jeune femme dans le même décor mais avec des poses différentes. Occasion rare d’apercevoir les coulisses, et de deviner les consignes du photographe, tout à sa passion pour ces corps libres, joyeux et délurés.


"La photographie obscène, loin d'être un facteur marginal dans l'histoire
de la photographie, a sans doute été une des conditions mystérieuses,
mais essentielle et féconde, de son développement,
et peut-être même, obscurément, sa raison d'être"
Sylvie Aubenas



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